13h41 le 14 décembre 2023
En début de semaine, Giulia a décidé d’apprendre à écrire en attaché. Elle s’est donc confectionnée un tableau avec les correspondances entre les lettres capitales et cursives.
Elle crée un autre cahier dans lequel elle écrit des mots, thème par thème pour s'entraîner à ce nouveau type d’écriture et un dernier cahier va lui servir à recopier des histoires dans des livres qu’elle va choisir d’abord simples, puis de plus en plus compliquées.
Les débats (09/10/24)
Ma collègue Gaëlle a pensé que ce serait le bon moment pour amener un espace de débat à l’école. Elle a d’abord proposé que nous utilisions les réunions plus courtes pour discuter de thèmes qui intéressent le groupe, mais cela arrivait trop rarement. Nous avons ensuite essayé de placer ces débats à la fin de la présentation quotidienne de 16h00, mais nous manquions de temps pour approfondir les sujets. Après en avoir discuté en réunion, le groupe a finalement proposé de remplacer la présentation du mardi par un débat.
Hier, nous avons donc tenu notre premier débat pendant une vingtaine de minutes, sur le thème des “gros mots”. Ce qui m’a frappé, c’est l’attitude des enfants : tous étaient posés, sérieux, impliqués. Ils ont pris la parole tour à tour, et notre discussion a progressé doucement, pas à pas, sans précipitation, simplement pour exprimer ce que chacun avait en tête. Avec des approches variées et des points de vue complémentaires, les enfants ont construit ensemble une réflexion. À ce moment-là, qu’importe leur âge, chacun a été écouté, entendu, et sa voix comptait réellement pour le groupe.
Cette expérience m’a rappelé combien les enfants sont capables de réflexion et de collaboration dès lors qu’on les considère comme des individus à part entière. Quand on les respecte et qu’on les prend au sérieux, ce ne sont plus des “demi-personnes” qu’il faut éduquer, mais des membres du groupe, au même titre que les adultes.
Toutefois, un moment de flottement est survenu, et c’est plutôt Gaëlle et moi qui en sommes la cause. À un moment, voyant le temps défiler, j’ai proposé de recentrer la discussion sur notre question initiale : “Qu’est-ce qu’un gros mot ? Comment pourrions-nous le définir ?” Mon intervention a créé un blanc, laissant la dynamique retomber. Gaëlle a enchaîné en soulignant que nous n’avions pas défini d’intention claire pour ce débat. Nouveau blanc. Quelques interventions ont suivi, mais le débat s'est finalement terminé sur une note moins fluide.
En en reparlant plus tard avec Gaëlle, nous avons compris que tout s’était bien passé... jusqu’à ce que nos interventions viennent rompre le processus naturel. Nous avons involontairement ramené nos réflexes d’adultes, convaincus de savoir mieux et de devoir recentrer le débat. En faisant cela, nous avons risqué de stériliser un climat de confiance et de libre expression, en cherchant à orienter le dialogue. Alors que notre projet d’école cherche précisément à s’émanciper du paradigme de l'adulte dominant, celui qui sait et qui contrôle tout, nous avons été rattrapés par l’envie de maîtriser, d’expliquer, d’encadrer. Pourtant, chaque fois que nous intervenons ainsi, nous prenons un espace qui devrait appartenir aux enfants. C’est un espace où ils pourraient exister pleinement, créer, et montrer des choses.
Comme tant d’autres adultes, nous ressentons souvent un besoin irrésistible de contribuer, d’aider, d’éduquer. Donner des conseils nous rassure, et satisfait notre désir d’être utiles. Mais une certaine manière de satisfaire ce besoin peut être néfaste pour le développement des enfants, qui se retrouvent alors à se préoccuper des attentes de l’adulte, plutôt que de se développer et d’acquérir de l'autonomie.
C’est ici que je pense à la notion d’autonomie telle que l’a définie le philosophe Cornelius Castoriadis. Il parlait de l’autonomie comme la capacité à se donner à soi-même ses propres règles, plutôt que de suivre celles imposées par d'autres. Il ne s’agît pas de ne pas tenir compte des règles du collectif mais d’apprendre à être en lien avec ses aspirations profondes. Dans l’autonomie de Castoriadis, les injonctions extérieures ne sont plus les seules raisons d’agir de l'individu (hétéronomie). Ce que nous cherchons à faire dans notre école, c’est justement de permettre aux enfants de développer cet ancrage lié à la connaissance d’eux-même, en leur offrant un cadre où ils peuvent penser, s’exprimer et évoluer sans être constamment interrompu par les exigences d’un autres qui sait ce qu’il conviendrait de faire.
Ce que nous avons appris hier, c’est que nous devons nous efforcer de parler comme des participants au débat, pas comme des sachants mieux. Si nous voulons vraiment que les enfants développent leur autonomie, nous devons leur laisser cet espace où ils peuvent réfléchir librement, où ils ne se contentent pas de répondre à nos attentes. Il ne s'agit pas d'une question morale, mais bien de créer un environnement épanouissant, vivant et joyeux, où chacun — adulte comme enfant — peut grandir, apprendre et être heureux d'être là chaque jour.
Je me réjouis déjà du prochain débat, mardi prochain, et cette fois, je compte bien laisser les enfants mener la discussion, tout en fermant ma bouche... sauf si je suis en mesure de parler comme tout le monde, et non comme un adulte qui sait.
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